Au Collectif X

Depuis presque un an, je fais partie du Collectif X, un groupe de comédiens et comédiennes ou similaires qui monte des actions théâtrales sur Saint-Étienne et Lyon et leur région, en général.

Nous nous connaissons depuis plus longtemps. C’est avec eux que j’ai fait beaucoup des interventions théâtrales dont je parle sur ce blog, comme Le Soulier de satin de Claudel, ou Villes#, dernièrement Mamma Medea de Tom Lanoye. C’est pour moi quelque chose de merveilleux d’avoir intégré ce groupe : je viens du milieu amateur, quasi sans formation ; eux viennent d’une des plus grandes écoles de théâtre de France (celle de Saint-Étienne évidemment).

Au tout début, les choses avaient pourtant mal commencé. C’était un soir, à Carton Plein, un groupe d’activistes urbanistes auquel je participais. Et les filles disaient (oui il y a  beaucoup de filles chez les activistes urbanistes c’est super) :

Oh là là encore un truc à faire ce soir, à l’école d’archi, on est invité, faut y aller, du théâtre. Pfoua comme on en a marre de sortir. Toi (ndlr : c’est moi), le théâtreux, tu veux pas y aller ?
Pourquoi moi ?

J’imaginais que c’était un de ces énièmes groupes subventionnés faisant un cocktail pour avoir d’autres subventions. Après avoir ardemment négocié et vérifié que personne d’autre que moi ne pouvait y aller, j’y suis allé, pour rendre service.

Une fois sur place, je ne mis pas longtemps à me rendre compte que je m’étais trompé : ces gens là, c’est à dire ce Collectif X, faisaient de l’excellent théâtre. Très vite j’ai voulu les suivre et participer à ce qu’ils faisaient.

Quelques années plus tard, la décision de m’intégrer au Collectif X fut prise de façon tout aussi rocambolesque.

C’était vers une heure du matin, au cours d’un débat mouvant fictif, que le Collectif organisait.

Pour faire un débat mouvant fictif, on définit dans la salle une zone OUI et une zone NON. Un meneur de jeu pose des questions et chaque personne du public se déplace vers la zone qui porte la réponse qu’il croit vraie ; « La Terre est-elle plate ?  » ; il faut aller dans la zone OUI si vous le croyez, dans la zone NON sinon. Faire du théâtre avec le Collectif X, c’est très simple. C’était mon centième débat mouvant fictif.

(comme exemple voir ICI sur une des photos un reste de zone non, et sur une autre photo un reste de zone oui, mais le débat mouvant est fini depuis longtemps, la zone de spectacle a été envahie par de nouveaux acteuris)

Et l’animateur pose la question « Est-ce que vous ressentez en votre cœur faire partie du Collectif X ? « . J’allais dans la case « non ». Quelle ne fut ma surprise de voir tout le monde manifester son désaccord avec ma réponse. Pour ne pas me retrouver avec 10 personnes contre moi à une heure du matin j’allais dans la case « oui ».

Et j’y suis toujours.

Je découvris plus tard que le Collectif avait du mal à se définir. Il s’est construit autour la promotion « X » – d’où son nom – de l’école de théâtre de la Comédie de Saint-Étienne. Mais dès le départ il y eu en son sein des gens qui n’étaient pas dans cette promotion, ou des gens qui n’étaient même pas comédiens. C’était plus un mouvement, une ambition, un enthousiasme, par rapport aux personnes présentes, par rapport aux possibles qui se découvraient.

Le Collectif X, c’est un groupe de jeunes, chacun ayant la pratique et l’intelligence du théâtre.

Le théâtre… par delà les aspects culturels, tout le monde, partout, tout le temps, fait jeu, personnage, scène, engagement, présence, portée, voix. Même un ouvreur de salle fait théâtre. Donc même un ouvreur de salle entre au Collectif X. Comment, alors, en dire le sens, le contenu, la limite ?…

Et c’était une des solutions trouvées pour se construire : envie, désir, amour, de faire partie du collectif ?… alors vous en faites partie. À ce compte là n’importe qui pouvait en être membre, sauf moi : ça fait belle lurette que mes ressentis ont quitté tout rapport avec la réalité, et plus encore avec la vérité.

À partir du moment où j’ai été dedans, paradoxalement, je ne fis plus grand chose, du moins plus grand chose de théâtral. J’allais aux réunions, je donnais mon avis sur tout, mais ça n’aboutissait à rien. Je supposais que c’était parce qu’il fallait maintenant me payer, et l’argent ne se trouve pas tous les jours par désir, envie, ou amour. Je devais maintenir une démarche proactive, hein.

Avec ces réunions je découvris avec étonnement que même les plus anciens avaient des doutes sur le Collectif, alors que moi je n’en avais pas. Ça me paraissait incroyable, mais j’avais l’impression qu’ils ne comprenaient pas comment fonctionnait le Collectif, alors qu’ils en étaient à l’origine et qu’ils avaient tout vécu. Il y avait en permanence une sorte de tension pour remplir un enjeu sentimental fort et une forme publique et authentique. Ce n’était pas tellement une tension entre collectif et individu, mais plutôt une tension de la vastitude de l’être.

Répondons-nous à un appel d’offres ?… alors faut-il réunir tout le monde, faut-il échanger par mail ou faut-il se voir physiquement, faut-il s’allier avec des partenaires ? Allons-nous voir un responsable culturel ? (le Collectif est lui aussi proactif, hein)… alors faut-il proposer tout ce que fait le Collectif, ou seulement une partie, et alors de quoi, de qui ?

Il faut presque toujours morceler le Collectif : selon le budget, les disponibilités, quelques personnes seulement vont sur un projet précis. Mais alors, que devient l’ensemble, sinon une sorte de banque de comédiens ?

Pour éviter ça, nous montons chaque année un grand projet qui rassemble physiquement tout le monde, et souvent même au delà du Collectif. Ce grand projet est fait, jusqu’à présent, bénévolement. Cela représente pour une vingtaine de personnes 15 jours de travail sans aucun dédommagement, sauf la nourriture.

Nous réfléchissons à d’autres formes, capables d’impliquer tout le Collectif, mais qui ramènent quelques argent. Le Collectif est, il me semble, estimé par les instances culturelles de la région (instances dont j’ignore à peu près tout). Par delà les aspects politiques et carriéristes de personnes, nous les voyions un peu comme des grandes sœurs… on ne s’entend ou ne se comprend pas forcément, mais elles sont plus grandes que nous et on sort en ville ensemble.

Aussi, la partie « rêve » – si des gens qui font du théâtre n’arrivent pas à rêver, on se demande qui y arrivera. Voulons-nous créer un grand lieu de théâtre ? Faire une gigantesque production cinématographique ? Créer une famille élargie ? Combattre le réchauffement climatique ?… Il existe des thèmes qui motivent, où chacun se sent impliqué. Le rêve est proactif lui aussi.

Et je crois que le secret du Collectif tient dans le mot « enthousiasme »… Et aussi dans un mot comme compétence, la capacité de relever, noter, écrire, jouer, écouter, chanter ou transmettre l’humanité.

 

Moi au Collectif X.
(photo Valérie Robert)