Chaises en pensivité

J’ai déjà beaucoup parlé de promenades avec des chaises ou des boîtes. Je continue !

Depuis septembre, avec Cédric, nous avons pu faire vivre cette idée une fois par semaine. Et dès le printemps, au cours de l’action Ici Bientôt du Crefad Loire, où il fallait animer la rue de la ville à Saint-Étienne, le projet était relancé avec Lucile, avec l’idée d’utiliser des chaises, non plus seulement des boîtes.

Sur la place du peuple.

Mais aujourd’hui que l’hiver arrive, que ça ne sert plus à grand chose de faire le pitre dans la rue, je me dis que c’est le moment de se poser.

Quelques fois on sort encore les boîtes !… ici, place Dorian.

La première chose qui est apparu est que la pratique individuelle peut être étonnamment variée. Certains privilégient le coté « Je me balade comme un métronome dans ma petite affaire« , d’autre le coté « Je communique avec mes amis« , d’autres « J’en profite pour faire le pitre« , etc.

Pareil pour les passants et les riverains, les « spectateurs ». On a côtoyé aussi bien une commerçante furieuse parce qu’on gène le passage que une autre, pliée de rire en voyant ces chaises envahir l’espace urbain, nous demandant de continuer à tous prix.

Nos différents parcours autour de la rue de la ville. (Cliquez pour voir en plus grand si jamais ça vous intéresse). Chaque boucle représente 2 heures de « promenade », certaines 3 heures, alors que la plus grande fait à peine 400 m ! (plan openstreetmap)

Cédric et moi étions d’accord sur au moins un point : pas question de donner aux passants ou à qui que ce soit une explication. C’est à dire que nous leur donnions une explication complètement fantaisiste. (voir précédents articles sur ces sujets).

Donc, il fallait inventer des histoires expliquant que on se promène avec des chaises.

Des passantes s’amusent avec nos chaises rue des fossés.

Habituellement on inventait ces fables de façon improvisée, sur l’occasion. Mais là, nous nous sommes perfectionnés : nous avons fait des micros ateliers d’écriture, et avons préparé des textes à dire, des thèmes à développer… par exemple les chaises font une manifestation (donc nous criions des slogans de chaises manifestantes), ou bien elles sortaient de la ville car elles avaient contracté la peste (donc nous demandions aux passants de s’écarter), ou bien il s’agissait de faire la chasse aux taupes… jusqu’à plus soif.

Place Boivin.

Quelques fois, cela tournait mal. La police est venue, nous demandant si nous avions vraiment l’intention de construire une tour de chaises sur les rails du tram. Il a fallu négocier, dire que notre échafaudage, nécessaire pour étudier l’envahissement de la ville par les taupes, était provisoire, qu’il ne gênait pas. Un agent du tram est venu constater, nous préciser que nous n’avions pas le droit.

Nous étions épuisés.

Un nouveau détecteur de taupes protégeant le passage du tram place du peuple.

Des fois il se passait plein de choses, d’autres fois, rien. Alors nous nous laissions entraîner dans le coté répétitif, métronome, graphique, ritournelle.

Le graphisme, c’est l’aspect fondamental de cette action : la petite dérive qu’elle impulse dans le regard et le parcours du passant. Tout d’un coup, il y a autre chose sur la voie, quelque chose qui occupe le terrain, un inconnu ; alors il faut jeter un oeil, établir un nouveau chemin, passer ; si ça c’est réussi, on a réussi. Mais ça n’empêche pas la question de bâtir quelque chose sur cette réussite.

Place Boivin.

Les jours de pluie, on s’enfermait dans une des nombreuses boutiques abandonnées (certaines sont assez vastes), et on répétait l’association d’un déplacement avec une parole. Car on se déplace beaucoup. Comment se déplacer, comment circuler autour des chaises ; comment parler, dire à quelqu’un quelque chose. Mais une fois dans la rue, rien ne se passe comme prévu ; au moins, les répétitions permettent de construire une théorie commune.

Certainement qu’il est encore présomptueux de dire que ces chaises passent de quelque chose de l’ordre de l’intuition à quelque chose de l’ordre de la pensée. En tous les cas elles ont largement pu étendre le champ de l’intuition. Vous trimballez une chaise, pouf ! vous la posez à un endroit que ça parle à la suite d’une observation d’une seconde, vous revenez prendre une autre chaise, vos compagnons font pareil… ça 1 000 fois, question développement de l’intuition, ça va.

À partir de là, on aborde le rapport à la ville. Le rapport de force, l’acceptation ou le refus, l’expression, le jeu… la pensée.

 


Voir aussi, sur le blog de Ici-bientôt : Des chaises dans l’espace public ?

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