Elle se tient debout derrière son comptoir. Il est bien rangé, se dit-elle en souriant, il n'a jamais été aussi bien rangé. Elle a tant l'habitude, qu'elle pourrait faire comme si tout était encore là. Contourner son comptoir, passer entre les chemises sur cintres, en le ressentant dans son esprit et dans son corps. Mais, aujourd'hui, juste aujourd'hui, elle ira tout droit. Elle va ouvrir la porte, sortir, et la refermer, simplement, pour la dernière fois. Le lecteur de carte bleue… sa main le voit encore. Le fer à repasser… sa vapeur chatouille encore les narines. C'est fini. Il y a vint-huit ans, jeune et rose, elle entrait ici pour la première fois. Comme maintenant, les murs étaient vides. Elle avance un pied, marche. Le sol répond bizarrement, comme s'il était nu, pour une dernière caresse. La porte s'ouvre toute seule devant elle, mais ce n'est pas elle. Elle, elle a un frisson, ne sait si elle doit pleurer ou regarder en arrière, ou regarder en avant. Cette porte, elle l'a tant de fois regardée. Elle sent quelque chose d'immobile qui la pousse dehors, cette chose qui a ouvert la porte peut-être ? Mais non : aujourd'hui, juste aujourd'hui, elle est seule.
Le temps, le temps. Bruits, bruits isolés. Toquer sa chaussure sur un meuble.
L'ennui.
Une voiture dehors. Son, bêtement, plus aigu puis plus grave = effet Doppler, variation apparente. Attente, silence, pause. Pause : affalé sur le comptoir, appuyé debout sur un pilier de bar ; silence : couleur du plafond ; attente : regards vers l'extérieur du café.
Entre un client ; se remettre en position Service. Bruit de passage de politesse : Bonjour, frottements, bips de cartes.
La télévision : son, aucun. Image répétitive fabrique un monde muet par handicap. Programme : les tirages des jeux d'argent.
J'ai repris ce texte pour le journal mural L'amie de la ville.
Non mais, cette annonce… “Pas de chèque, pas de dettes” ?… Elle connait l'avenir, c'est de sa faute… On la voit qui renifle les légumes au marché… un regard, un touché… les approche de son nez… évalue la distance juste… de son nez, ses lévres, d'elle à la peau du légume… fait d'infimes réglages par son muscle du bras, par la longueur du nez… Est-ce là une voyante !? Est-ce vraiment l'avenir qu'elle renifle ?… Je t'en fiche, elle est comme tout le monde, d'un coup d'oeil vif elle zieute le total… la ligne “Total”… elle remonte, fait semblant de découvrir la vie… le calcul… c'est son compte en banque que je parle… le reste c'est de la voyance de légume, si c'est la lune, si c'est les étoiles, l'hiver, l'été… un truc de nuages, un truc de brumes.
J'étais assis un dimanche ensoleillé à un abribus à Montreynaud, lorsqu'un jeune s'est mis à me parler… le texte est un peu en vrac et très résumé, il m'en a tellement dit !
Les horaires Stas ne sont pas bon pour les boulangers. J'ai failli me faire virer à cause de ça. Je prenais le tram à 4 heures du matin, mais j'ai une dent contre la Stas.
C'est pratique de prendre le bus ; avec une voiture, l'essence ça coûte beaucoup plus cher, sans parler des accidents.
Je cherche du travail dans une boulangerie de quartier, une boulangerie artisanale. C'est là qu'on apprend le métier. Il y en a encore, heureusement. Ça, et des points chauds, mais il y a trop de points chauds.
Il y a 4-5 ans il y avait un boulanger à bout en bas de Montreynaud qui devenait fou et qui ne pouvait plus payer ses factures alors il a tué sa vendeuse (note : la personne qui lui avait vendu la boulangerie) à qui il devait des arriérés, et il a fait disparaître le corps dans un tonneau d'acide qu'il a jeté dans la forêt. Les policiers l'ont retrouvé parce qu'il restait une petite flaque d'acide dans la boulangerie, qu'il ont fait renifler à des chiens, et ainsi les chiens ont pu retrouver les restes du corps en forêt.
Les journaux ont bien rapporté le crime, de façon un peu différente, mais tout aussi horrible. Voir « J’ai tenté de la faire partir, puis j’ai pris le pied-de-biche et j’ai frappé » et Vingt ans de réclusion pour le boulanger de Saint-Etienne. Bon dimanche…