Quelques fois, un type ou une nenette vous parle sans vraiment de raison et vous raconte d'un coup une histoire, souvent quelque chose de vécu, sans forcément s'en rendre compte, comme s'il avait touché une impulsion intérieure. Vous avez l'impression qu'il vous donne une histoire. C'est fortuit.
Voici quelques unes de ces histoires, le plus brut possible, mais forcément avec diverses interprétations de ma part, avec la transcription de l'écrit, puisque à l'origine elle sont données oralement, entre deux portes. Tout est retrouvé de mémoire.
Savez-vous comment faire pour aller chez le psy, non je veux dire l'ORL, jeudi le jour de la grève ? Non ?… Elle me dit d'attendre, elle me met une petite musique, et un quart d'heure après j'ai toujours la petite musique. C'est l'ORL. Comment faire ? Savez-vous si tout sera bloqué jeudi ? Une grève, oui, mais pas la guerre. Mais je n'ai jamais connu la guerre, je ne veux pas ça. Pourtant, je ne fais pas de politique. Comment vit-on ? L'autre jour j'ai vu, dans un magasin, une paire de gants à 15€. Qui peut se payer ça ? À quoi pense-t-on ? Et si on les perd ? À quoi pense-t-on ? Ils ont dit que la grève ne durera pas jusqu'à Noël, mais il y en a un qui a dit qu'il s'en foutait. “On tiendra”, qu'il a dit. Sans bus, qu'est-ce qu'on va faire ? Je ne peux plus marcher, comment aller en ville ? Qu'importe, on se débrouillera.
Dans le tram, une dame un peu agée, bousculée par un soubressaut dans la conduite, manque de me tomber dessus. Mais elle atterrit, ou s'écrase, plus qu'elle ne s'assoit, non sans m'avoir copieusement bousculé, sur le siège libre en face de moi. Elle fait mine de se cacher le visage pour montrer quelque honte, elle se désole, elle s'excuse.
- Excusez, excusez, excusez…
- Pas de soucis.
- Je suis cruche je n'ai aucun réflexe, je tombe tout le temps. Je suis toute molle, que faire ?
- Rassurez-vous, cette fois-ci vous avez su vous rétablir.
- Que lisez-vous ?
- Je lis “Les Canuts ou la démocratie turbulente”.
- Turbulente ?… Ah, bin oui… c'est actuel… On y revient.
- Il faudrait un peu plus d'humour.
- Ah oui, ah oui j'écoute les infos à la radio tous les matins, mais c'est tellement grave et triste ce qu'ils disent que je suis plombée tous les matins.
- C'est le principe : plus c'est dramatique, plus ils ont d'auditoire.
- Tous les matins je ne sais pas comment on va s'en sortir. Heureusement sur France Inter ils ont des humoristes.
- Et avec la mort de Chirac…
- On est submergé.
- On parle moins de l'incendie de l'usine Seveso près de Rouen.
Des fois, la conversation s'arrêtait, mais, tantôt elle, tantôt moi, on la relançait.
- Chirac était un personnage, plus que Giscard.
- ?
- Il avait une façon directe d'aller voir les gens, de leur sauter dessus presque, c'était un industriel du contact. Giscard - mais vous avez l'air jeune, peut-être ne l'avez-vous pas connu ? - était plus timoré là-dessus.
- Pourtant c'est Giscard qui a construit les centrales nucléaires.
- C'est pour ça que les gens s'en souviennent, de Chirac, mais sinon, qu'a-t-il fait ?… Ah, si, j'ai appris, surprise, qu'il avait fait le Samu social. Étonnant.
- Ce n'est pas lui, c'est juste qu'il a repris ce que d'autres ont fait.
- Bien sûr.
Soudain une autre personne s'invite dans la conversation.
- Chirac ? Je suis allé signer le registre à la mairie, c'était un grand homme, faites-le vous aussi, allez-y il le mérite.
- Bien sûr.
- Bien sûr.
- Et il a bien aidé les arabes, il était contre les israéliens, il les a bien envoyés balader.
- Oui.
- L'amitié franco-arabe c'est grâce à lui ; il faut aller en mairie signer les condoléances.
Le tram arrivant à la station où il descendait, ce monsieur nous quitte aussi vite qu'ils nous avait abordés.
- Ce type est fou, je le connais.
- ?
- Il est fou, figurez-vous qu'il s'était présenté à des élections.
- Des élections ?
- Un jour. Il était avec les communistes. Je le sais, j'y étais, moi aussi. Mais il est complètement cinglé.
- Un jour avec les communistes, un autre avec Chirac.
- Ça, ça n'empêche pas, surtout à propos de la disparition d'une personne. Mais quand même il est fou. Et pourquoi lisez-vous votre bouquin, là… turbulente ?…
- C'est pour un groupe où je suis, qui prépare comme un spectacle à Lyon où le sujet principal est le monde du travail. Comme c'est Lyon on a prit comme axe les Canuts. Si on avait été ici on aurait pris…
- Le charbon.
- Exact.
Malheureusement, comme dit la chanson de Brassens, les chemins, donc les trams, ça emmène quelque part, et j'arrivais. Je dus, moi aussi, interrompre la conversation avec cette dame, tout aussi brutalement qu'elle même l'avait commencée, mais avec plus de civilités.
- Je suis très fatigué… Quelle heure est-il ?
- 14h35.
- Quelle heure est-il ?
- 14h35.
- Quelle heure est-il ?
- 3 heures moins 25.
Il sort sa montre de sa poche.
- Quelle heure est-il ?
- 3 heures moins 25.
- C'est vrai. Je voudrais m'acheter une moto mais je n'en ai pas trouvée.
- Pas trouvé ?
- Je fais le jardin, mais je suis très fatigué, très fatigué. J'ai fait trente-trois ans de fonderie. Avec le feu. Des gants sur les mains, ça protège. C'était le feu, la fonderie. On était protégé sur les mains, sur le visage.
- Est-ce que c'était lourd ?
- Habitez-vous près d'ici ?
- Oui, en bas, à Molina.
- Molina ?
- C'est en bas de la colline, c'est ici.
- Le dimanche il n'y a pas beaucoup d'autobus. Je vais au jardin.
- Oui heureusement le prochain arrive dans pas longtemps.
- Trente-trois ans à la fonderie. Un jour, le contremaître m'a dit tu pars à la retraite. Et je suis parti.
- Oui.
- C'était en 2004.
- Cela fait quinze ans ?
- Oui.
- Et c'était bien comme travail ?
- Un travail.
- Et c'était bien comme travail ?
- Un travail.
- Il y a d'autres ouvriers à la fonderie que vous connaissez ?
- Partout. Le contremaître, le chef, l'ingénieur, aussi. Maintenant, au jardin ha ! ha ! Je suis très fatigué, encore.
- Et puis quoi ?
- Des jeunes, là bas.
- Ils jouent.
- Ils jouent.
J'ai contacté les personnes d'un jardin familial (les Jardins Volpette section Bâtie ici voir aussi La bâtie 1, une section rénovée et sauvegardée - Le blog des Jardins VOLPETTE), à coté de chez moi, leur demandant si je pouvais venir régulièrement faire quelques photos et histoires. Ils m'ont dit OK.
Je n'ai pas besoin de trop chercher… ce sont eux qui me racontent les histoires et qui me disent de faire les photos. Ils me considèrent comme un journaliste sans journal.
- retranscription de mémoire -
La blette ne doit pas être trop grande. Là, elle est trois fois trop grande elle ne poussera pas. Les racines sont trop petites ça pourrit de l'intérieur. D'habitude je sème moi-même les blettes. Mais cette année j'ai pas pu, j'ai acheté des plants mais ça ne poussera pas. Le temps a été trop froid et trop irrégulier pour la blette. Trop froid jusqu'à la semaine dernière, et d'un coup il fait trop chaud.
Il poussera ce qu'il poussera. Le jardin ça ne rapporte rien. On ne compte pas dessus. Ils disent au jardin c'est meilleur mais avec tous les produits qu'ils mettent dessus c'est autant pollué qu'au supermarché. Ils disent c'est naturel mais avec tous les produits qu'ils mettent dessus ça revient au même. Le jardin ça vaut rien, on est tous pollués, il y a beaucoup moins d'oiseaux, il y a des oiseaux que les enfants ne verront jamais. Moi je mets pas de produits, je soigne mon jardin, le ciel fait le reste. Regardez mes poireaux, ces deux, là : ils montent en graine. Je les récupère, je les sème. C'est comme ça. Mais pour ce que ça rapporte… Il y en a autour ils mettent plein de produits dans leur jardin. Ça pollue tout.
Avant il y avait des jardins partout autour. Et puis un jour quelqu'un est arrivé et il a dit on vous supprime tout le jardin en bas on va faire des constructions. Alors on a plus de jardins en bas mais ils ont fait aucune construction. C'est devenu une friche. À quoi ça sert ? Ils auraient mieux fait de ne rien faire. Moi je prépare mon jardin, je sème, et ensuite c'est le ciel qui fait ce qu'il veut.
Un jour j'ai fait un petit moulin à vent sur un piquet avec des bouteilles en plastique, ça tourne. Du coup tous les autres jardiniers m'ont imité avec leurs piquets et leurs bouteilles en plastique croyant que ça servait à quelque chose que ça protégeait quelque chose mais non ça sert à rien.
Surtout maintenant, voyez-moi, voyez mon corps… aux champignons j'ai reçu une balle dans le bras, un chasseur. Il a confondu lapin, champignon, et moi. Mais je le sentais, mon copain m'avait dit de venir avec lui aux champignons, j'aurais pas dû, il y a des fois des choses qu'on sent. Je ne peux plus rien.
Dans le bus 8 direction Carnot un homme vient de monter. Il me tend la main franchement et me lance un bonjour direct et familier, comme si on était de vieux copains. Je lui rends son bonjour, un peu étonné.
- Belles maisons, beaux apparts, ici, me dit-il en s'assoyant à coté de moi, montrant le lignée des maisons de ville qui défilaient déjà sur notre gauche avec l'avancée du bus.
- Oui, oui, répondis-je, un peu circonspect, essayant de lui rendre aussi son sourire.
Au départ notre conversation était un peu épisodique : quelques mots échangés, puis un silence, puis à nouveau quelques mots, et ainsi de suite.
- Beaux duplex, me dit-il.
- Oui, oui.
- Beaux duplex.
- Oui, oui ; et ils ont de beaux garages.
- Beaux duplex, beaux garages.
- Oui.
- Et ils ont une belle vue, ceux qui sont de ce coté.
- Belle vue sur la ville ici, surtout quand on habite une tour, en haut.
- Ils l'ont détruite la tour.
- Même sans habiter une tour, du haut de Montreynaud il arrive qu'on voie la chaîne du Mont-Blanc.
- La tour ils l'ont détruite.
- Il m'est arrivé d'habiter dans une tour mais ce n'était pas ici.
- Où ?
- À Chartres.
- Ceux qui ont de belles vues sont ceux qui habitent la Côte d'Azur.
- La Côte d'Azur ?
- Et l'Italie, la Grèce.
- Je ne connais pas, ou très peu.
- Splendide, c'est splendide !
- Mais je ne sais pas comment je me comporterais si le temps est toujours beau.
- Même quand il pleut il fait bon dans ces pays.
- Je ne sais pas comment je serais sans hiver.
- À Montreynaud on vient de connaître les quatre saisons en un mois ! Il y a 15 jours on avait -5, aujourd'hui on a +15… Et à Biarritz il fait 20, à Toulon, il fait chaud aussi, comme c'est bon ! Et le printemps tous les jours avec les fleurs, et l'automne, encore, quand le brouillard rampe…
- Oui, je ne sais pas.
- À la frontière entre l'Algérie et le Mali, aujourd'hui même il fait 40 et ils sont heureux !
- Moi je ne pourrais pas.
- Et dans tous ces pays ils cultivent l'olive, ils font de l'huile d'olive, et des kiwis, et des oranges.
- C'est sûr c'est bien.
- Au Sahara même, dans les oasis, ils cultivent tout. Puis ça va en Europe, en Angleterre, en Scandinavie, tout partout.
- Et comment font-ils ?
- Ils travaillent.
- Non mais par 40 c'est pas possible.
- C'est un pays d'une beauté !… Et jusqu'à la frontière malienne, le gouvernement algérien a amené des routes et l'électricité ; ils produisent tout. Et le Maroc et la Tunisie, pareil. Ils exportent. C'est le Maroc qui produit le plus, ça marche très fort.
- Ça doit être bien.
- Les oranges de ces pays… Et je suis allé en Amérique centrale, il fait toujours beau, ils travaillent… Au Panama, au Mexique, et à Nassau aux Bahamas, tout est d'une beauté.
- Et on trouve des produits de ces pays ici ?
- Ils exportent partout. Au marché de Carnot, maintenant, on en trouve. Au marché de Carnot, les produits viennent du monde entier.
… Et, justement, la place Carnot, terminus, on y arrivait. On s'est salué aussi cordialement que l'on s'était dit bonjour, et, comme, justement, c'était dimanche, que c'était le jour du marché, de Carnot, il n'y avait plus qu'à se plonger dans le monde entier.
Dans le tram, des jeunes mecs débarquent et occupent tout l'espace, comme seuls les mecs savent le faire.
Étant un mec moi aussi, je ne bouge pas d'un millimètre.
- Oah, monsieur lit un livre, monsieur est instruit.
C'est vrai, je lisais tranquillement un livre.
- Oah, monsieur va réussir, s'il est instruit il va réussir.
Je réponds :
- Il est possible d'échouer en étant instruit, peut-être que c'est moins dur d'échouer quand on est instruit ou quand on lit des livres, mais ça ne permet pas de réussir tout ce que l'on entreprend.
- Et alors que faites-vous ; quel est votre métier ?
- Je fais du théâtre
- Ah ouais t'es au Zénith ?
- Non, dans des amicales, des cafés…
- Ooooh moOonsieur, monsieur a du talent !…
- Mais…
- Ah oui, monsieur a du talent, on ne le dirait pas comme ça !
- C'est…
- Ah oui je vous respecte monsieur, vous vivez de votre talent, bravo.
- Il n'y a besoin d'aucun talent pour faire du théâtre, tout le monde peut faire du théâtre, vous même pouvez en faire.
- Ah nan moi du théâtre jamais !
- Mais si vous pouvez en faire.
- Mais non.
- Mais si quoi, tout le monde joue la comédie, tout le monde se compose un rôle, vous même jouez la comédie dans votre vie.
- Mais non.
- Mais si tout le monde est comédien. Vous mentez couramment, comme tout le monde. Vous mentez ? Donc vous pouvez faire du théâtre.
- Mmmm….
- Vous mentez facilement, tous les jours, à tout le monde, tout le temps. Donc, vous jouez la comédie, donc vous pouvez faire du théâtre, sans avoir aucun talent comme moi.
Il regarde ses copains du coin de l'oeil, ses copains se marrent. Je reprends, fort de mon avantage :
- Et vous, que faites-vous comme métier ?
- Je suis livreur de pizza.
Soudain, une irrépressible envie de pizza m'envahit.
- Ah oui, très bien les pizzas, très important, je voudrais une pizza.
- Bin oui.
- Je voudrais… comment faites-vous les pizzas ?
- De tout.
- Heu… avec des olives. Très important les olives dans une pizza.
- J'aime pas les olives.
- Quoi ? Mais comment est-ce possible ? Mais au moins des oignons ?
- Non, que de la viande. La pizza, que de la viande.
- Mais comment peut-on ne pas aimer les olives ?… Impossible.
- Je mets de l'ananas dans les pizzas.
- De l'ananas ? non…
- De l'ananas et de la viande. Sucré / salé, ça, c'est du goût.
- Des olives ?
- Non, pas d'olives, de la viande.
- Mais, comment, comment vivez-vous, avez-vous goutté des olives ?
- Moi j'habite Saint-Étienne depuis 10 ans, voilà, je suis stéphanois.
- Moi aussi j'habite Saint-Étienne depuis 10 ans, mais je ne veux pas être stéphanois.
Ses copains se marrent. Il se moque d'eux. Les désignant :
- Pfeau, ils habitent des quartiers pourris, vous avez vu, ils sont noirs. Ils ont pas d'instructions. Et vous, avant Saint-Étienne, où habitiez-vous ?
- En Savoie.
- Et avant ?
- Paris.
- Paris Paris ?
- Non, le 91.
- Le 9-1 ?
- Oui.
- Et avant ?
- Le 9-3.
- Et avant ?
- Le 9-2
- Et avant ?
- Le 7-5, Paris !
- Ouwah ! Le mec il a habité Paris ! Et maintenant, où, à Saint-Étienne ?
- Montreynaud.
- Montreynaud, je vais même pas livrer de pizza à Montreynaud.
- Boaf.
- Et pourquoi vous n'êtes pas descendu à Carnot prendre le 8 ? Le 8 il va à Montreynaud.
- Je prends le 8 à la Terrasse, c'est plus pratique pour moi.
Ses copains filmaient la scène avec leurs portables, il les regardait du coin de l'oeil, moi aussi. C'est une habitude courante de nos jours : dès que vous voyez une scène, quelqu'un, quelque chose, qui sort un peu de l'habitude, vous prenez une mine innocente, l'air de rien, et vous filmez. Donc, lui et moi, nous étions filmés.
Il regarde, ça le fait sourire. Alors brusquement, il sort son portable, se retourne, et me prend en photo.
- Un petit selfie, dit-il, ça passe toujours.
- Et moi, que je réponds, moi aussi je peux vous prendre en photo ?
- Oui… oui, bien sûr.
Je sors mon appareil photo, il prend la pose, clic ! (voir photo).
- Wouha monsieur vous avez un vrai appareil photo !… vous êtes de la vieille ! Ça fait plaisir de discuter avec des gens comme vous… le gens, ils sont coincés, mais pourquoi, comment ? Au lieu de ça, voilà, on se rencontre, on cause, quel problème ?
Quel problème ?… je ne lui ai pas dit que, si je n'avais pas fait de théâtre, jamais, je pense, j'aurais été capable de discuter avec lui. Je serais resté enfermé dans mon livre.
À l'attente à l'arrêt de bus Gustave Delory, une petite vieille, de l'ordre de 80 ans :
Quelle chaleur ! Aujourd'hui ce qu'il fait chaud !… et vous, ça va ? Mais je pars toute l'après-midi. Je vais à l'amicale [incompréhensible], on fait la coinche. Hier j'étais à l'amicale Chapelon, c'était vraiment bien. On a dansé toute l'après-midi. C'est exceptionnel que l'amicale Chapelon soit ouverte le dimanche, c'était vraiment bien. Ici à Montreynaud il n'y a rien, on est au courant de rien, il n'y a pas de commerce. Mais, aussi, à l'amicale du Crêt-de-Roc on y danse, oui, on y danse tout le temps !
… et le bus arrive. À bientôt, madame.
C'est le charme de Saint-Étienne… Cela arrive régulièrement : un type, sorti de nulle part, m'aborde dans la rue sans aucun préambule et me parle.
- Êtes-vous professeur ?… non ? vous êtes comédien ? Ah ? Il faut savoir que, au jour d'aujourd'hui, tout le monde est comédien. Moi aussi. Ma femme me le dit : “Tu es comédien”. C'est vrai : je viens du pays de Pagnol. Alors le théâtre je connais. Ma femme me le dit. Les Bourvil, les Louis de Funès, les Raimu, n'avaient pas tellement de talent, ou un talent normal, mais ils s'y sont mis et ils ont réussi. Donc vous voyez. Pour tout le monde c'est pareil. Voilà, bon, voilà. Merci monsieur, au revoir.
Et il disparaît aussi vite qu'il est apparu.
Je n'avais pas eu le temps de reprendre mes esprits qu'un autre homme apparaît et m'interpelle encore :
- Êtes-vous chauffeur de bus ?
- ?
- Je voulais prendre le bus 14 mais il y a marqué “TRAVAUX”
- Ah ?
- Savez-vous si le bus 14 passe !
- Je l'espère : je vais le prendre.
- Mais savez-vous s'il passe ?
- C'est sans doute pour les travaux du nouveau tram ; ce n'est pas pour ici.
- J'ai attendu un peu mais j'ai vu passer un bus dans l'autre sens. Est-ce que cela veut dire quelque chose ?
- On arrive à l'arrêt. On va regarder les horaires sur le panneau.
- Mais les panneaux ont été vandalisés. On ne peut rien lire.
- Heu oui c'est gênant.
- J'ai dans mon sac un prospectus. Mais il est à l'envers.
- Oui sans doute.
- Ah ! Regardez ! Sauvé ! Voilà justement le bus qui arrive dans le bon sens cette fois ! Quelle chance ! Sauvé !
Et il monte dans le bus sans plus me dire autre chose.
Relevé à l'occasion de Villes#1 La Cotonne du Collectif X.
J'étais en conversation avec un homme à un abribus en train de lui expliquer les merveilles du projet 'Villes#' en vue de lui demander un entretien (ça échouera complètement), lorsqu'une femme est arrivée pour attendre le bus. Par galanterie nous lui avons proposé notre place assise, mon interlocuteur étant plus vif que moi, elle a accepté et s'est assise à sa place, c'est à dire à coté de moi. Elle a alors commencé à parler.
(Retranscription de mémoire, juste après)
- Je viens du social ils ne pouvaient rien pour moi c'était pas la peine que je vienne je vais rentrer par le bus je peux pas payer mon ticket tant pis je suis venue à pied à quoi bon ? Ils vous disent qu'ils ne peuvent rien pour vous, pourquoi vous font-ils venir ? Ça sert à rien, je ne veux pas faire la manche, j'ai trop honte.
- (l'homme) Mais si c'est pour manger, c'est normal, quand ça se justifie, moi je donne 5 ou 10€ pour manger, il faut le faire. S'il y a des contrôleurs ils comprendront, c'est évident.
- J'ai demandé à ma mère 10€ pour faire quelques courses elle ne peut pas me les donner, à qui puis-je demander ? Je ne connais personne je ne peux pas me mettre dans un coin et faire la manche. Avant ce soir il faut que je trouve 10€ pour quelques courses sinon je ne peux pas, je ne paierai pas le bus pour aller chez moi, si le contrôleur passe tant pis, à quoi tout cela sert-il ? Je lui dirai que je n'ai rien, et ce n'est même pas moi qui ait voulu venir, à quoi bon ? Je suis allé au CCAS il peuvent rien je suis allé aux assistantes sociales… Ils me disent chercher un boulot mais c'est fait, j'attends les réponses ! Les restos du coeur ils vous disent de passer tous les 15 jours, mais ce soir qu'est-ce que je fais ?
- (moi) Et vous habitez dans le quartier ?
- Non j'habite vers Villeboeuf. (crois-je me souvenir)
- (moi) Depuis longtemps ?
- Non, depuis trois mois, ma mère est à La Réunion, je viens de La Réunion.
Le bus arrive, elle monte dedans avec l'homme. Je reste.
- (moi) Bon courage.
- J'en ai besoin.