Le conte de celui qui voulait faire cuire un œuf sur le plat avec un portable téléphonique

Cette histoire est à jouer, il est préférable de s’entraîner à quelque improvisation au fur et à mesure, ce qui excuse que le texte proposé ici soit pas toujours terrible.


 

Francis a entendu dire qu’il était possible de faire cuire un oeuf sur le plat avec un portable téléphonique.

Toujours friand d’expériences d’avant garde faisant le buzz, il se rend chez son opérateur téléphonique conseil, qui lui confirme l’information. De plus, lui dit-il, son appareil est compatible, et cette fonctionnalité est déjà incluse dans son forfait : il n’a plus qu’à télécharger l’application, très ergonomique, et à se laisser guider.

Très excité, il fonce dans la première épicerie trouvée pour acheter un œuf frais, puis à son café habituel, où il rencontre son ami Pascal, à qui il propose de tenter l’aventure ensemble.

Ils s’installent à une table, Francis télécharge l’application dite sur son portable, et la lance. Tout est très facile : elle propose un temps de cuisson par défaut de 3 minutes, qu’ils acceptent. Francis pose son portable sur la table, prend l’œuf, qu’il met juste au dessus de son portable… il le casse, splitch ! l’œuf tombe sur le portable, le blanc se répand sur l’appareil, et le jaune reste au milieu de l’écran.

Puis l’appareil se met à faire brrrrr… il apparaît des traces laiteuses dans le blanc, Francis et Pascal observent fascinés la matière spongieuse se tracer, se solidifier, monter, monter… ils observent des bulles qui sortent, on croirait que ça bout, et elles éclatent à la surface.

Après 3 minutes, l’appareil s’arrête de faire brrrrr. Francis et Pascal n’ont
plus qu’à demander une fourchette et un couteau au barman, et à déguster l’œuf.

Ils trouvent l’expérience épatante, ils sont en joie, ils s’amusent.

Puis ils passent à autre chose, d’autres trucs. Puis ils sortent du café, et se séparent, et Francis rentre chez lui.

En chemin, très fier, d’être arrivé à faire cuire un œuf sur le plat, il décide de téléphoner à sa compagne, pour lui apprendre la nouvelle.

Mais, en cherchant son portable, il se rend compte qu’il ne l’a plus dans ses
poches : il a du l’oublier au café, dans l’excitation. Aussitôt, il retentit dans sa tête une sonnerie brutale : peut être que quelqu’un le lui aura volé ? Il est pris de transpiration, d’autres mauvaises musiques jaillissent et lui traversent l’esprit, sans prévenir, et se taisent tout aussitôt. Il court, arrive au café, devant la table… où son portable n’est plus.

Il regarde autour de lui : le monde est indifférent, il voit les choses comme à travers un filtre polarisant, ou « éclairage nuit ». Des gouttes de sueur lui coulent du front. Il sent une grosse masse sombre voler dans la pièce, le chercher. Elle se stabilise pile au dessus de lui.

Il entend un tonnerre, comme si elle se cassait et splitch ! il lui tombe dessus une masse gluante, transparente, qui envahit tous ses mouvements. Sa respiration est difficile, l’air semble s’être transformé en gélatine. Au dessus de lui, il est apparu un gros globe jaune, comme un canapé Ikea ou un dessert Mac-Donald, qui vole. Il a de la fièvre, il se met à trembler de tout son corps et se met à faire brrr….

Il voit des traces laiteuses apparaître sur le sol, monter, monter. C’est une matière spongieuse, qui tremblote si on pose le pied dessus. De grosses bulles en sortent, montent, et éclatent en l’air. La matière blanchâtre en montant enferme ses membres, envahit la pièce, le submerge. Au moment où elle risque de l’étouffer complètement en lui arrivant au nez, il s’arrête heureusement de faire brrr.

Le silence se fait.

Et alors là, l’horreur absolue : il apparaît, au dessus de sa tête, une énorme fourchette et un énorme couteau, qui viennent pour le piquer et le couper. Francis s’apprête à pousser un cri d’horreur et de désespoir, lorsqu’il voit apparaître à la porte du café son ami Pascal, tenant son portable à la main, pour le sauver ! Par un effort de volonté surhumain, Francis sort son bras de la gangue de gélatine visqueuse qui l’enserre, pour saisir le portable que Pascal lui tend, et, au moment ou il le touche, miracle : toute la matière blanchâtre se transforme en petits flocons qui s’envolent et disparaissent au plus léger courant d’air, le gros globe jaune se transforme en gaze qui se dissipe au plafond, et Francis est libéré.

Pascal explique à Francis qu’il avait oublié son portable, qu’il l’avait récupéré, qu’il avait voulu le rattraper, qu’il avait pas pu, qu’il l’avait oublié, qu’il y avait repensé…

Francis le remercie, reste un peu assommé, repart. Sur le chemin il avance comme un somnambule… il téléphone mécaniquement à sa compagne pour lui dire qu’il sait faire cuire un œuf sur le plat, et raccroche…

Il ne comprend pas. Avait-il été… déconnecté ? Finalement, sans doute traumatisé, il oublia, et ne recommença jamais l’expérience.

Et voilà pourquoi personne ne fait plus cuire un œuf sur le plat avec son portable téléphonique, alors que c’est parfaitement possible.