Madame Serfouette
Madame Serfouette sait choisir la file la plus rapide aux caisses des magasins
Grâce à son esprit curieux et inventif, madame Serfouette, de la place Grenette, a découvert comment choisir la file la plus rapide aux caisses des magasins. Voici comment.
Dans la plupart des supermarchés il y a des petits paniers à disposition pour faire ses courses et y placer les produits que l’on veut acheter. Quand on a fini on passe à la caisse, on paie les produits que l’on met dans son propre sac, on rend le panier à l’établissement et on s’en va.
Les magasins préfèrent que les clients utilisent ces paniers car c’est pour eux une protection contre le vol.
Mais madame Serfouette a remarqué qu’il y a des gens qui posent leur panier à une file sans avoir terminé leurs courses, comme s’ils faisaient déjà la queue. Ils le laissent là, et vont dans les rayons chercher leurs achats et reviennent les poser dans leur panier au fur et à mesure. Si la file avance, ils font avancer le panier à leur passage. Ainsi, en quelque sorte, c’est leur panier qui fait la queue, non pas eux. Ils le font avancer lorsque la file avance, tout en continuant de collecter dans le magasin ce qu’ils cherchent. Par ce stratagème ces personnes gagnent beaucoup de temps.
Malheureusement madame Serfouette n’est pas assez maligne pour appliquer cette idée. En effet, surtout dans les grands magasins, lorsqu’elle revient auprès des caisses, elle ne se souvient plus de la file où elle a posé le panier. Elle est obligée d’aller chercher un nouveau panier, nouveau panier qu’elle repose auprès d’une nouvelle caisse. Et de tout recommencer. Elle se retrouve ainsi avec deux paniers faisant la queue pendant qu’elle va continuer les courses.
Cependant, à nouveau, elle n’arrive pas à retrouver le deuxième panier, et ainsi de suite.
Voyant cela, piquée dans sa frustration et son amour propre, par association d’idées, elle eut l’inspiration, un peu folle, de mettre un petit panier à toutes les files à la fois. Ainsi, elle n’aurait plus de problème pour se souvenir où est son petit panier, et en plus elle ferait la queue à toutes les caisses, étant sûre ainsi d’être dans la file la plus rapide.
Aussi elle pose un petit panier à toutes les files. Elle se multiplie dans chaque petit panier. Dans chaque petit panier, elle met un ou deux produits avec soin. Quand un petit panier avance les autres petits paniers le regardent et tous les petits paniers sont contents d’être un petit panier utile. Un petit panier avance, avance, avance… au rythme de sa file. Le petit panier est autonome. Comme ça il y a forcément un petit panier plus rapide que tous les petits paniers du pays des petits paniers habité de petits paniers qui regardent tous les petits paniers. Elle est sûre d’être avec le petit panier gagnant. Quand le petit panier gagnant arrive, elle va vite auprès des autres petits paniers pour récupérer leur contenu et passer à la caisse. Il y a forcément un petit panier gagnant, puisqu’elle a mis ses petits paniers partout, petits paniers qui sont ses petits paniers, ce petit panier gagnant est son petit panier. Même le petit panier perdant est le petit panier gagnant puisque grâce au petit panier qui gagne tous les petits paniers sont gagnants même les petits paniers perdants du petit panier des petits paniers aux petits paniers.
Comme elle adore partager ses idées, madame Serfouette en a parlé à ses copines et ses copains. Et maintenant, toutes font la même chose. Et l’on voit, derrière les caisses des supermarchés de Saint-Étienne, une sorte de danse de personnes et de petits paniers qui avancent tout seuls.
Madame Serfouette fait la fête
Madame Serfouette, de la place Grenette, adore faire la fête. Elle aime se déguiser. Elle s’est déjà déguisée en girafe, en motard, en montgolfière, en arbre, et prenant cent autres apparences.
Pour la prochaine fête, chez un ami d’une amie d’un ami d’une amie, elle s’est encore déguisée, mais elle ne saurait dire en quoi. Elle a fait comme ça venait, et trouve ça très drôle. Un nez provocateur sur le ventre, des cheveux rouges fluorescents, une figure métal brillant, des grosses jambes d’hippopotame, un dos d’escargot, des bras comme des ailes d’avion… peut-être avait-elle exagérer ? Elle hurlait de rire.
Et la première personne que madame Serfouette rencontra dans la rue sursauta de peur.
Et la deuxième personne qu’elle rencontra dans la rue prit ses jambes à son cou.
Et la troisième personne eu son sang glacé, devint toute bleue et se cassa en morceaux.
Et la quatrième perdit la voix, devint aveugle, paralysée, sourde, grelottante, jaune, poilue, grasse, pleine de boutons, mauvaise, abrutie, en sueur.
Et la cinquième perdit tous ses cheveux, perdit sa langue et même son pantalon.
Et la sixième devint toute rouge, gonflée comme un ballon, et explosa.
Et la septième se péta la chemise, déchira son slip, et mangea sa chaussette.
Et la huitième fit caca tout de suite.
Et la neuvième vomit, éternua, péta, pissa, et refit caca.
Et la dixième la trouva très belle, elle lui fit un grand sourire, elle l’aima beaucoup, elle embrassa madame Serfouette et lui fit un câlin.

Madame Serfouette cherche une place assise dans le tram
Madame Serfouette, de la place Grenette, a travaillé dur toute la journée. Maintenant que c’est fini, qu’elle va rentrer chez elle par le tram, elle espère pouvoir se reposer pendant le voyage.
Le tram arrive. Par chance, elle voit quelques places assises… mais il y a tant de monde qu’elle arrive trop tard pour les prendre. Elle doit rester debout, coincée entre trois hommes massifs et deux poussettes qui sont comme des camions.
Toujours optimiste, elle se rapproche des sièges, espérant qu’ils se libèrent. Mais non, leurs occupants restent cimentés à leur place. Madame Serfouette pense très fort que cela va s’arranger, qu’un siège va se libérer, mais rien ne se produit. Le seul résultat est que ses jambes se transforment en flanc de ketchup.
Un gros lourd la serre, une bonne femme la coince, quelqu’un lui marche dessus, elle étouffe. Son ventre est noué, ses pieds sont d’argile, ses seins pèsent des pierres, son cou est raide.
Elle voit une place qui se libère, mais déjà trois personnes sont dessus, qui se font des politesses, qui se font des je vous en prie… Finalement, c’est un vieux qui prend la place, elle ne peut rien faire.
Elle désespère. Elle voudrait sentir mauvais, que tout le monde la laisse seule. À chaque arrêt plein de gens entrent mais aucun ne sort. Elle regarde autour d’elle presque en pleurant.
Et soudain, que voit-elle ?… Fabio, son amoureux ! Assis, et lisant tranquillement un livre ! Alors, retrouvant instantanément sa joie et son énergie elle se bouge tout droit vers lui, en un instant elle est à ses cotés, oh ! Fabio ! Elle le salue, il lève les yeux de son livre, la découvre enfin, lui sourit, lui dit des paroles douces. Elle s’assoit sur ses genoux, se glisse contre son poitrail, se love autour de ses épaules. Elle se fait lourde sur lui puis tendre, se repose, et lui dit : « Je t’aime ».

Madame Serfouette et le harcèlement de rue
Madame Serfouette, de la place Grenette, en avait plus qu’assez du harcèlement de rue. À chaque sortie, des groupes d’hommes nauséabonds se moquaient de ses jolies jambes. Elle décida de réagir et elle commanda une mitraillette par internet, avec la ferme intention de s’en servir. Elle reçut l’arme quelques temps après, et aussitôt elle sortit bien décidée à se payer le plaisir de mettre enfin deux ou trois balles dans le premier qui la sifflerait.
Malheureusement, à son grand dépit, aucun homme, ce jour là, ne fit le moindre commentaire sur son allure. Elle se tenait prête, marchant dans les rues la mitraillette à la main, regardant tous les mâles avec colère, mais aucun ne se mit à l’ennuyer.
Un peu déçue, elle ressortit avec sa mitraillette le lendemain… pour la même absence de résultat.
Elle en parla avec ses copines de quartier, qui trouvèrent l’idée intéressante, et voulurent essayer, malgré tout. Chacune s’équipa d’une mitraillette. Et chacune constata cet effacement immédiat des mauvais comportements masculins.
Toutes ses amies en parlèrent à leur propres amies. Très rapidement, la majorité des femmes de l’agglomération stéphanoise s’équipèrent de mitraillettes. En quelques jours il se vendit 150 000 mitraillettes dans le bassin de l’Ondaine et celui du Gier. Les autorités étaient atterrées.
Le Président de la République, chef des armées, abasourdi d’apprendre qu’une militarisation soudaine et massive des femmes s’étaient manifestée, vint voir sur place, n’en croyant pas ses conseillers et dossiers. En état de stupéfaction il prit le TER Part-Dieu / Chateaucreux incognito pour être sûr. Par prudence il se déguisa, en imitant les employés de bureau de la place Chavanelle : il prit une trottinette, mis des écouteurs dans les oreilles.
Il vit partout l’ordre menacé par des femmes, certes pacifiques, mais toutes portant des armes de guerre.
Devant la gravité de la situation, il décida de faire cerner la région par l’armée, et pré-positionna des chars dans la vallée du Rhône. Il envoya un ultimatum au préfet, le sommant de désarmer immédiatement la population féminine.
Le croirez-vous ? Le préfet y est arrivé en offrant un bouquet de fleurs pour chaque mitraillette.
Madame Serfouette astique Jeanne d’Arc
Madame Serfouette avait remarqué que la statue de Jeanne d’Arc place Boivin n’était pas très propre. Avec l’esprit toujours très civique, elle entreprit de la nettoyer. Elle se munit d’un seau plein de lessive, d’une bonne éponge à gratter, d’une échelle, et elle commença par frotter la tête.
Elle sentit sous ses mains la pierre dure du casque, la masse des cheveux, la force pleine des joues, du ventre, de ses seins, la grâce forte de la guerrière dans ses bras et ses mains.
Mais, en arrivant au cheval, elle eut l’impression de la pulsion d’un coeur qui battait encore sous la peau. En grattant, l’éponge emportait quelques poils. Sous l’eau froide, elle avait la sensation que les oreilles ou la queue de la bête se réveillaient et frémissaient quelques fois.
Par acquis de conscience, une fois qu’elle eut terminé son travail, elle amena une botte de foin au pied de la statue.
Le lendemain, dès tôt le matin, les premiers passants trouvèrent Jeanne d’Arc gisant par terre dans l’herbe, renversée, regardant fixement le ciel. Sa monture avait disparu. La botte de foin aussi.
La ville de Saint-Étienne du budgéter un nouveau cheval pour Jeanne d’Arc.
Madame Serfouette devient riche
Madame Serfouette, place Grenette, est de nature civique : de sa propre initiative et avec ses propres deniers, elle a remplacé un sac poubelle qui s’était déchiré sur la place publique.
La municipalité, pour récompenser ce geste citoyen, a décidé de lui envoyer un chèque de 0,73 €, prix estimé du sac. Mais les services municipaux, peu habitués à traiter ce genre de procédure, agirent dans le désordre, et madame Serfouette reçu 26 chèques de 0,73 €.
L’affaire parvint sur les bureaux de Saint-Étienne-Métropole. La gestion des déchets est en effet de leur compétence. Les algorithmes, un peu surpris car il n’existait aucun cas de ce genre dans leurs datas, classèrent madame Serfouette au barème P catégorie 15, ce qui revenait à lui envoyer 45 chèques de 115 732 €.
Mais, en rupture de crédits, l’un des services payeurs rejeta la demande, qui fut aussitôt réaffectée à la région Auvergne-Rhône-Alpes par la préfecture. Elle recalcula madame Serfouette en la considérant partenaire industriel pour la gestion du recyclage écologique. Vu le nombre de sacs poubelles existant sur la voie publique dans toute la région, il lui fit parvenir 1 653 chèques de 7 348 556€ chacun.
Les finances de la région se trouvant menacées, il est nécessaire d’augmenter les impots de 2,56%, tandis que madame Serfouette part en vacances bien méritées sur une île du Pacifique.
