Un rêve cassé

Cet hiver je me suis lancé dans un spectacle individuel simple, à savoir la lecture de La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès. Comme on se lance dans un rêve : rassembler une dizaine de personnes autour de soi. Mais sur trois soirées, j’ai eu… 6 spectateurs, ou quelque chose du genre.

Et ce n’est pas la première fois que j’ai quasi zéro spectateurs. Quand je vois le monde que rassemble la moindre soirée de hard-rock, je pleure. Je suis jaloux de ces concerts pleins… il faut que je me fasse une raison.

Je me souviens, à l’époque de Carton Plein, on avait fait les jeudis de la cartonnerie… et on avait du monde. Il y avait de la bière, de la musique, de l’enthousiasme, on passait notre journée à faire des crêpes ou des salades pour ces messieurs-dames… Mais on était tendus, c’était trop de boulot, pour des trucs qui étaient pas vraiment de notre partie. Et le jour où un mec bourré s’est fait renverser par une bagnole – il s’en est sorti – juste devant notre porte, on a tout arrêté : trop de risques.

À Saint-Étienne des gens qui y arrivent bien a attirer du monde sur un concept autre que « bière+musique hard » ceux de La Laverie. C’est extraordinaire. Avec des spectacles sympas et dynamiques (voir sur ce blog la Biennale des mutilations rigolotes). C’est un peu le concept de la journée familiale où tout le monde se distrait. C’est génial, et c’est exactement ce que je cherche à faire. Sauf que eux ils sont au moins 20. Ils travaillent bénévolement pour préparer et installer tout le mic-mac. Et tout le lendemain pour ranger.

« Mais », me dit-on, « si tu fais pas de pub comment veux-tu qu’on vienne te voir ? « . Certes, mais pourquoi est-ce que je ferais de la pub pour que les gens viennent payer la bière, et que moi les gens ne me paye qu’au chapeau s’ils en ont envie ?… Pratiquement, partout où je vais, les gens acceptent de payer la bière, mais pas le spectacle. Du coup, les organisateurs jonglent. On arrive à payer les musiciens à condition que… les barmans soient bénévoles. Donc, je devrais faire de la pub, trouver des barmans bénévoles, faire mon spectacle, et dire aux barmans « Donnez-moi le fric merci les amis vous êtes sympas !  »

On va me dire « Et les salles ? Et les festivals ? Et tes contacts facebook ? « , ok. Mon idée était une sorte de truc pas trop compliqué, mais c’est foutu. Un peu comme quand je vais dans la rue, je me lance, certes j’ai pas beaucoup de monde, mais déjà plus que en salle…

Mais j’avais quand même fait une affiche, quand même, je suis pas totalement ours, tirée à 28 exemplaires, c’est à dire beaucoup plus que d’habitude, quoi.

Après, il y a apparemment des gens qui sont tout à fait d’accord de donner un temps infini pour faire une belle soirée avec plein de monde. Il y a des gens qui, littéralement, débordent de générosité. Qu’ils soient bénévoles ou professionnels. Dans pleins de cafés ou au Remue-Méninges, ils font ça tout le temps. Ce que fait La Laverie est juste plus spectaculaire par sa dimension et son aspect urbain, mais sinon il y en a tout le temps. Je me rappelle d’un truc, à l’Excuze bar, qui avait réussi à inviter une fanfare, dans les 3m² que fait le troquet…

 

(fanfare pustule)

Après un coup pareil ça se comprend que personne ne vienne me voir : la fanfare c’est fantastique. Moi, j’ai toujours quelque chose qui va pas derrière la tête (comme, d’ailleurs, le mec de la nuit juste avant les forêts, ahem), ça plombe l’atmosphère.

Cette générosité est quasi une démarche politique. Oh ! Ce n’est jamais pour dire « Votez pour un tel ou un tel », cette démarche dépasse l’engagement partisan. (quand même, sachez que mon entourage serait plutôt bio gauchiste). Ce n’est même pas une démarche caritative, on ne dira pas « c’est pour la planète » ou « c’est pour les handicapés », quelques fois j’entends « c’est pour les immigrés / SDF / Palestiniens / etc« , mais c’est rare. La base, c’est l’idée de jouer et de faire quelque chose ensemble qui rassemble du monde, en corrélation avec quelque chose qui vient de la société, de façon approximativement saine. (j’ai dit « en corrélation » j’ai pas dit « en accord ») (j’ai pas dit en désaccord non plus).

À la journée « Tout doit disparaître » de La Laverie. Photo La Louce.

Tout cela tombe à peu près bien pour moi, c’est exactement comme ça que je vois les choses. Sauf que je suis pas hyper à l’aise dans les démarches collectives. J’y arrive, mais c’est pas ma tasse de thé. Si on me dit quelque chose, j’aurais presque besoin d’aller ailleurs réfléchir au calme, puis revenir, alors je répondrais, on me re-répondrait, il faudrait que je reparte pour re-réfléchir et ainsi de suite. Bref je laisse courir devant moi. J’espère toujours un petit peu qu’il y a d’autres retardataires, comme moi, mais finalement ces gens sont assez isolés (forcément ! ) et ils ne se rassemblent pas (évidemment ! ). Bref, nous ne pouvons pas porter un rêve.

Par delà les aspects politiques, il existe un désir général de vivre des choses extraordinaires. Souvent, ce désir se conçoit dans un cadre collectif.

Et les artistes sont l’un des objets de cette demande. Ils peuvent être de la musique, de la danse, une belle histoire… Ou être un simple miroir, les miroirs simples sont merveilleux. Mais ils se cassent, c’est un peu ce qui m’arrive quand il n’y a pas de public. C’est un échec personnel. Quand c’est comme ça, quand je suis cassé, j’essaie d’aller dans l’extraordinaire, faire comme une répétition où tout est proposition. J’essaie de faire comme si c’était une générale avec panne d’électricité, un sac de billes éclaté. Je chante comme si j’étais sous ma douche. Je voudrais emmener les trois spectateurs sous la douche. Et, pendant que personne ne nous regarde, tout mouiller et faire ensemble des éclaboussures.

Tous les matins arrive en gare de Saint-Étienne un train chargé de soleil pour le service municipal « Parc et jardin » : une information exclusive de @herv42 (moi) sur twitter.

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